Des origines de l'industrie automobile belge, et plus particulièrement des automobiles SPRINGUEL.
Lorsqu'il y a un mois, environ, Monsieur Leleux m'a remis de la part de Monsieur Frère une invitation à venir vous entretenir des origines de l'industrie automobile en Belgique, je me demandais comment j'allais traiter le sujet, tant mes souvenirs personnels étaient ténus ; heureusement un cousin de mon Père Monsieur Albert Springuel qui a vécu cette époque a bien voulu me documenter.
Il faut en effet
bien se rappeler que la majorité de cette industrie naissante au début de ce
siècle est morte avec la guerre de 14/18 et que quelques marques seulement ont
émergé après celle-ci telles:
Minerva, F/N., Nagant, Impéria, pour mourir définitivement une quinzaine
d'années après, durant la grande crise des années 30.
Les premières années de ce siècle ont en effet été propices en Belgique à l'éclosion d'une industrie automobile, éclosion spontanée, un peu comme une éclosion de champignons dans une prairie en été, donc éclosion éphémère. Rien que dans la province de Liège, nous pouvons nommer les marques suivantes: Mécanique & Moteur, Nagant, Freney, Automix, F/N., Impéria, Springuel soit déjà 7 marques; dans le restant du pays on peut ajouter entre autre : Métallurgique, Pipe , Bovy, Minerva, Hupmobile etc. Mais pourquoi cette éclosion? A mon sens parce que les conditions étaient requises: Ingénieurs capables, financiers entreprenants, main d'oeuvres excellentes, dessinateurs très valables, et surtout un marché avide et en pleine expansion sans trop de concurrences.
L'histoire des Automobiles Springuel qui n'a duré que 6 ans et demi seulement est la pour le dire. Jules Springuel était sorti de l'Université de Liège avec le grade d'ingénieur civil des mines avec la plus grande distinction et félicitation du jury. Jeune ingénieur, il créa à Huy un petit atelier de parachèvement vers 1902/1903, il avait 7/8 ouvriers. Un de ses amis Edmond Dresse lui demanda de monter un moteur sur un tricycle. Jules Springuel en construisit un second pour lui-même; il pouvait installer un siège en osier en porte à faux à l'arrière, siège retenu par des lanières de cuir, pour y installer sa femme lors de certains déplacements, et c'est ainsi qu'un dimanche les lanières cassants il perdit sa femme et ce n'est que quelques centaines de mètres plus loin qu'il s'en rendit compte. Fort mary de cette aventure, il décida de bricoler son tricycle et d'en faire un 4 roues ou sa femme serait assise à ses cotés. Par la suite, ses amis Charles Delloye, de Lhonneu de Lamine lui demandèrent d'en construire pour eux, et c'est ainsi qu'un peu plus tard, les mêmes et quelques autres dont des membres de la famille fondèrent avec lui le 10 juillet 1907 la S.A. des Automobiles Springuel au capital de 500.000 frs en 1000 actions de 500 frs.
Bienheureuse époque! Si en 1908 le bilan s'annonce sans gain ni perte, on commence à distribuer un dividende dès 1910 et en 1912, l'affaire est si rentable que les actionnaires se réunissent en Assemblée Générale en janvier pour participer à une augmentation de capital, mais avant cette augmentation les anciens actionnaires se partagent 1000 actions de dividende; on passe ensuite à l'augmentation du capital de 1.000.000 frs soit environ 80.000.000.frs actuel. Le capital social étant de 1.500.000 frs. Une partie de l'augmentation sert à rémunérer l'apport de la société des automobiles Impéria, le solde servant à améliorer la trésorerie et à pratiquer certains investissements. Dorénavant, la publicité se fera en faveur des marques Springuel et Impéria. Au 30 juin de la même année, la société annonce un bénéfice de 162.132,99 frs soit environ 13.000.000 frs actuel. On en distribue 44.900 frs soit environ 3.600.000 A titre indicatif je remarque que dans le bilan on fait une provision fiscale de 4017,59 frs soit environ 321.000 frs actuel. Et le succès continue si bien que l'année suivante en 1913 le Conseil d'Administration signale dans son rapport que les deux usines celle de Huy et celle de Nessonvaux ont travaillé à plein rendement et que si on avait plus produire plus, on aurait fait un plus grand bénéfice et cependant celui-ci était doublé par rapport à l'année précédente. Mais d'ou vient ce succès commercial? Certainement à la qualité des châssis sortis, et à la philosophie de la conception d'une auto par Jules Springuel, il écrit d'ailleurs dans une étude sur ses autos qu'il recherche la robustesse, par la simplicité, parce qu'un mécanisme simple est toujours plus robuste " bien que cela puisse paraitre paradoxale, écrit-il, il faut étudier beaucoup plus un problème de mécanique pour le résoudre d'une façon simple que d'une manière compliquée, et l'on doit déployer plus d'ingéniosités pour arriver à la simplicité qu'a la complication." Aussi le slogan des automobiles Springuel est-il à ce moment:
SPRINGUEL = Simple, Souple, Solide, Silencieux.
Aussi les résultats
ne se font pas attendre, car les automobiles Springuel se taillent une solide
réputation dans les courses, les rallyes et au Salon de l'Autos.
De ces courses de l'époque parlons un peu. Il y en avaient beaucoup et de toutes
espèces: course de vitesse, course d'endurance, course de côte, course du Km
départ arrêté, courses des 500 m départ et arrivée arrêté et ceci pour plusieurs
catégorie de types de voitures:12 HP, 16 HP, 25 HP avec voitures décapotable ou
fermées; vraiment on était plein d'initiative Il y avait le rallye d'Oostende,
celui de Spa, la course de cote de HUY, celles de Béthane etc. etc. Et à
l'étranger il y en avait tout autant en France, en Allemagne et surtout en
Russie : dans ses réclames, Benz signale avoir gagné entre autre en 1913 le
Grand Prix de l'Etoile à Moscou (déjà une étoile!) , la verste départ arrêté, la
course Odessa Iekaterinoslaw et retour soit environ 1160 verstes sur les plus
mauvaises routes de Russie! Springuel lui, signale qu'il a gagné la course
Cordoba-Rosario-Buenos Aires sur les routes les plus exécrables de l'Amérique du
Sud à la moyenne de 70 Km à l'heure. Benz signale encore qu'en 1913 son pilote
Hornsted a atteint sur l'autodrome de Brookland aux U.S.A. la vitesse de 199,7
Km à l'heure. L'acheteur potentiel était donc avertis des possibilités de sa
future voiture, jusqu'en 1912 il achètera un "châssis" C'est-a-dire une voiture
sans carrosserie, parfois même sans pneus, mais dont le moteur a été rodé par
l'usine. Mon Père qui avait 18/20 ans à cette époque recevait très souvent de
l'usine un châssis pour son week-end, afin de roder la voiture et d'indiquer à
l'usine le lundi matin les points faibles. Il faisait des randonnées en
Ardennes, la voiture ayant reçu ses deux sièges en osiers. A cette époque
lorsqu'on croisait une autre automobile, on s'arrêtait souvent et on faisait
connaissance; mon Père connaissait ainsi un tas de personnalités de Bruxelles et
d'Anvers.
L'heureux propriétaire d'un châssis commandait lui-même la caisse qu'il voulait
obtenir chez un carrossier par exemple chez d'Ieteren à Bruxelles chez Gamette à
Liège, chez Léonard à. Waremme. Il n'y avait donc jamais deux voitures
exactement semblables, chacun ajoutait quelques détails suivant son gout ou sa
fantaisie; ainsi mon Grand Oncle Barthélemy Springuel avait commandé chez
Gamette une carrosserie, et dans la spécification de la commande il est inscrit:
" je veux recevoir une limousine avec une hauteur telle que je puisse m'assoir
avec mon haut de forme sur la tête quand je fais des visites il devait y avoir
également des glaces biseautées." Mais à la réception, elles ne l'étaient pas,
aussi Barthélémy Springuel propose-t-il une transaction: " Je serais d'accord de
ne pas vous réclamer de glaces biseautées mais veuillez ajouter à vos frais des
petits rideaux aux fenêtres. "
Je dirais encore un mot des catalogues. Ceux-ci sont faits par les moyens du
bord comme on dit: c.a.d. qu'il n'y a pas de mannequins, ni de décore, les
photos sont prises sur place par exemple au château de St Vitu, au château des
Récollets avec les châtelains comme mannequins! Jules Springuel conduit souvent
lui-même une de ses voitures dans les courses; il arrive parfois que le nom d'un
pilote est un pseudonyme parce que Madame ne veut pas que son mari pilote une
voiture de courses c'est trop dangereux!
Que coûte une voiture ou plutôt un châssis?
Un châssis de 12 HP: 6600 frs soit aujourd'hui 528.000 frs
Un châssis de 16 HP: 7700 frs soit 616.000 frs
Un châssis de 25 HP: 11.300 frs soit 890.000 frs
A cette époque vous pouviez acheter une bougie OLEO à partir de 2,85 frs tandis
qu'une bougie POGNON coutait au minimum 5 frs soit 400 frs actuel! Fin aout 1914
le directeur de l'usine de Nessonvaux qui était allemand est, revenu à Huy et a
exigé les plans, comme Jules Springuel n'était pas décidé à collaborer,
l'occupant a complètement démonté usines de Huy et de Nessonvaux et emporté le
tout y compris les châssis en cours de montage. Durant la guerre Jules Springuel
étudia deux types de voitures dont un taxi; il étudia également un moteur dont
les dimensions seraient standardisées même course même alésage pour un quatre,
un six, et un huit cylindres.
Juste après la guerre, réalisant le gros handicap par rapport a ses concurrents
surtout les voitures françaises Renault et Citroën, Jules Springuel avait pris
contact avec Minerva pour essayer de créer une industrie automobile nationale.
Hélas, la maladie l'a rapidement cloué au lit et il n'a plus pu continuer à
s'occuper de ses affaires. L'usine de Huy ne fut jamais remise en route, et
l'usine de Nessonvaux fut vendue et la S.A. des Automobiles Springuel dissoutes.
Pierre Springuel
Genval, le 15/12/1977
Préparé pour une conférence au Royale Automobile Club en Décembre 1977